SmartWater

Le projet Smartwater permet de mener la discussion sur un aspect des systèmes d'informations géographiques qui nous est cher et qui est leur ancrage social. C'est un projet qui nous a amené à faire un partenariat avec toute une série d'acteur·ices dont Bruxelles Environnement mais aussi avec des collectivités ou des associations liées à la question de l'eau : les EGEB (états généraux de l'eau à Bruxelles), le Port de Bruxelles, Jeunes et nature, Pool is Cool, Coordination Senne, l'ASBL Tournesol. C'est un projet Experimental-Plateform financé par Innoviris. Ce projet a été initié par des labos de recherche en biologie et robotique de l'ULB et de la VUB et s'intéresse à la transmission de données sur la qualité de l’eau par des robots. L'ambition est de réunir des associations et des administrations qui sont liées à la question de l'eau à Bruxelles, plus spécifiquement aux pièces d'eau de la Senne et du canal. Le projet de monitoring s’est progressivement orienté vers une prise en charge collective et commune des pièces d’eau.

Notre rôle dans le projet, c'est de développer une plateforme citoyenne de collecte de données discontinues. En partie numérique, la plateforme doit mettre les données collectées auprès des citoyen·nes en interaction avec les données de Bruxelles-Environnement et les données collectées par les robots placés dans différentes pièces d’eau bruxelloises. Le principal enjeu pour nous dans ce projet est de rendre compte de la diversité portée par tous·tes les acteur·ices qui sont partenaires du projet et leurs différentes approches par rapport à la question des qualités de l'eau. Iels ont en effet des intérêts très divers. Pour Pool is Cool, qui promeut la baignade à Bruxelles, une eau de qualité c'est une eau où on peut se baigner tranquillement ; pour Bruxelles Environnement ou pour l'Europe, la qualité de l'eau doit répondre à une grille d'évaluation qui fait référence aux qualités physico-chimiques de l’eau (par exemple pour les zones Natura 2000). Il y a aussi d'autres enjeux. Pour Coordination Senne ou l'ASBL Tournesol, la qualité de l'eau est aussi liée à la manière dont on communique sur les questions de l’eau et la manière dont les personnes (que ce soit des publics scolaires ou des communautés locales) peuvent s'approprier ces questions.

pour créer les formulaires, on a mis en place une méthodologie et un protocole qui permettent d’adresser les questions qui se posent pour la constitution d’une plateforme citoyenne de collecte de données sur les qualités de l’eau. Pour rattacher avec les communautés ou collectivités qui sont autour des pièces d’eau, l’objectif est de passer progressivement d'un système d'informations géographiques à une communauté de savoirs et d'actions. Cela se fait effectivement collectivement, au fur et à mesure de discussions situées près d'une pièce d’eau lors desquelles les partenaires de Smartwater et les communautés discutent. Ces communautés sont des personnes, des habitant·es qui sont concerné·es pour diverses raisons par les qualités des pièces d'eau auprès desquelles iels vivent. Pour que le projet soit pérenne au-delà du financement, l’objectif est d’impliquer et parvenir à maintenir des groupes afin de produire les savoirs et décider des actions à mener par rapport aux pièces d’eau. Pour ce faire, on a posé l'hypothèse qu'il fallait que les données puissent être appropriées par les personnes qui participent et prennent part au projet. On a mis en place une méthodologie qui s'est formalisée d'une certaine manière, mais qui peut être modifiée. Comme un protocole autour de comment constituer une collecte de données.

Le point de départ est de définir collectivement un formulaire à choix multiples. Les réponses produiront des données éventuellement mobilisables pour des interprétations, des analyses, des synthèses. Pour initier ce formulaire, il faut donc un groupe qui se mette ensemble et se demande "Qu'est ce qu'on veut savoir? Pourquoi on voudrait savoir ça? Pourquoi on s'intéresse à la température de l'eau? Pourquoi est ce qu'on s'intéresse à ce qu'il y a autour des pièces d'eau? Pourquoi est ce qu'on s'intéresse à la santé des canards? Quelles sont nos intentions derrière?". Dans un premier temps c'est plutôt une forme de discussion.

Ensuite, on passe à la formalisation du questionnaire. C'est une étape importante parce que c'est le moment où on met sur papier les questions qu'on veut poser. On définit aussi les différentes réponses pour chaque question, idéalement en spécifiant l'intention derrière.

Enfin, il y a un nouveau moment de discussion lors duquel le formulaire est rediscuté et validé par l'ensemble de la collectivité. Les personnes qui participent à la mise en forme du questionnaire ne représentent en effet pas nécessairement l’ensemble de la collectivité concernée.

Lorsque le questionnaire est validé, on le met en ligne sur l'application ou on l'imprime, et on peut alors lancer des campagnes d’observations pour collecter des données sur le terrain.

Ces campagnes d'observations peuvent se faire seul.e ou en groupe, et même peut être lors de moments collectifs, comme ça a été par exemple le cas au Jardin de la Senne.

Vient ensuite l’étape du partage et de l’analyse de données qu'on n'a pas encore opérationnalisée parce que le projet Smartwater n'est pas encore fini. L’objectif de cette phase est de savoir "maintenant qu'on a ces données, qu'est ce qu'on en fait? Comment est ce qu'on les synthétisent ou de quelle manière? Est ce qu'on veut les partager? Et qu'est ce qu'on veut leur faire dire?". Il y a un retour sur le formulaire pour rediscuter les hypothèses au regard de ce qu’on a découvert sur le terrain et ajouter ce qu’on aurait oublié d'inclure comme élément.

On peut alors réencoder la nouvelle version et ainsi faire une boucle ou faire d’autres formulaires pour multiplier les possibilités de réponses.

Cette méthodologie a été pensée au regard de la diversités des réponses que nous avons reçu des différent·es partenaires lorsque nous leurs avons posé la question « qu'est ce que c'est pour vous la qualité de l’eau? ». La diversité des réponses nous a poussé à adresser la collecte de données de manière collective d'une part, et à favoriser la possibilité de multiplier les formulaires d'autre part. Ça rejoint un peu l’idée de concevoir un monde de cartes plutôt qu’une carte du monde : plutôt que d'avoir un grand formulaire qui se voudrait exhaustif (et qui probablement laisserait passer une série d'autres choses) on fait exister une série de formulaires qui parlent de choses chères à chacun·e. L’application qui permet de répondre au formulaire a fait l’objet d’un prototype et de plusieurs versions testées collectivement afin d'avoir des retours, d'en rediscuter et de refaire la boucle pour rendre le processus itératif. Sur l’application, les formulaires sont présentés sous formes de questions et de réponses. Les réponses sélectionnées se retrouvent à la fin dans une base de données représentée sous forme d'un tableau. Cela rend visible le choix d'avoir des données structurées. Ces données structurées peuvent ensuite être mobilisées pour faire des cartes, mais aussi sous formes de tableaux ou graphiques pour faire des rapports spécifiques suivant les besoins des personnes impliquées. Parmi les différents groupes qui s'imbriquent les uns dans les autres, il y a le premier groupe de celleux qui définissent le formulaire, le groupe plus élargi de celleux qui participent à la campagne, et enfin le groupe des personnes qui testent l’application. Au départ d'une demande assez technique de construire une application de collecte de données, nous avons donc développé et testé une méthodologie autour de la collecte de données qui prend en compte une diversité de savoirs et nous mène à la création de communautés de savoirs et d'actions.

C’est intéressant de constater à quel point impliquer les personnes qui participent à la collecte permet de générer de la discussion. Le processus qui s’est mis en place génère quelque chose qui va complètement au-delà de la collecte d'informations. Ça génère quelque chose de social, une forme de compréhension mutuelle, d’état de rencontre, qui se rattache au sujet initial de la place des pièces d'eau dans la ville mais qui - à travers le jeu d’interactions et de discussions qui mène à l’application - dépasse l'enjeu des données pour ouvrir sur une dimension très sociale.

Ce projet nous a aussi permis d’explorer un autre mode de représentation des données spatiales. En effet, nous travaillons habituellement avec des représentations visuelles. Lors d'une longue réunion avec toute·s les partenaires, une idée a émergé en fin de réunion autour des robots et on s'est dit "ha mais quand même ces robots ils pourraient nous parler, on pourrait peut être les entendre...Et pourquoi est ce qu'on ne ferait pas radio robot?" et donc on les entendrait nous dire "oui, ça va bien", ou "il fait froid" ou "l'eau est vraiment trop concentrée en oxygène aujourd'hui". Et c'est parti d'une idée qui a surgi lors d'une discussion, mais qu'on a décidé de concrétiser. On a invité Yann, un artiste sonore, pendant quatre jours à l'Atelier cartographique pour travailler avec Pierre et Nina sur comment traduire les données collectées par ces robots : le pH, l'oxygène, la conductivité, la température. Comment les interpréter et en faire une création sonore qui soit aussi un point de connexion appropriable facilement par des gens pour qui la question des données est parfois un peu lointaine. Ce robot qui envoie les données via un routeur à un serveur, ça ne parle pas toujours. Et donc au moment de la mise à l'eau, on avait un petit baffle sur lequel on a retransmis en direct les données que le robot émettait. Il y avait des enfants, des jeunes, etc. qui étaient là et qui disaient "ha mais c'est génial le robot parle!". Juste pour dire que parfois pour faire parler les données, on peut aussi recourir à d'autres médiums qui sortent des cartes plus traditionnelles.

Au final, ces différentes dynamiques participent à créer des identités de pièces d’eau et à interroger leur futur en ville.