Hyphenated database
Le projet Hyphenated Database vise à concevoir une infrastructure qui permettent d'assurer l'accès aux trois bases de données qui identifient les migrant·es signalé·es décédé·es aux frontières de l’Europe. Ce projet entend déployer l'imaginaire d'un SIG optimisé pour la dignité humaine. Son ambition est que les personnes directement concernées par les données reprises dans ces listes puissent accéder à ces informations et influencer la prise de décision en faveur d'une technologie ou d'une autre pour construire l’infrastructure.
Un mémorial numérique pour adresser les questions de deuil en contexte de migration
Le projet Hyphenated Database est né de la rencontre entre Arkadi Zaides, l'UGent, UNITED et Atelier cartographique pour créer l'infrastructure numérique d'un mémorial qui adresse autrement que sous une forme tabulaire les questions des deuils en contexte de migration. Ce projet ambitionne d'une part de questionner à quoi servent ces bases de données et à qui elles servent mais révèle aussi les possibilités d'actions concrètes pour impliquer les personnes concernées émotionnellement par la consultation de ces bases de données.
La liste nécrologique de UNITED
Hyphenated Database est un projet qui mature depuis quelques années et qui a obtenu un financement du FWO pour la période 2022-2026. Le point de départ est une base de données existante qui est une liste conduite par l’association hollandaise de lutte contre le racisme "UNITED Against Facism and Racism".
Les données relatives à la nécrologie des migrant·es en Méditerranée sont actuellement dispersées dans trois bases de données différentes : la liste composée par UNITED Against Racism depuis 1993 répertorie 44.764 décès et le projet «Missing Migrants Project» (MMP) initié en 2013 par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) recense 35.000 décès. La troisième base de données est celle sur les décès à la frontière (DBD) réalisées par l’Université libre d’Amsterdam entre 1990 et 2013. Ces sources de données sont fragmentées et spécifiques et il n’existe actuellement pas d'infrastructure qui les rendent accessibles et consultables par les personnes concernées par les décès.
Depuis 30 ans, UNITED construit cas après cas une liste des réfugié·es et migrant·es qui sont mort·es à cause des politiques frontalières restrictives de l’Europe. Cette liste a été constituée à la main et avec peu de moyens financiers. Deux membres de United se sont en effet occupés de constituer cette base de données cas après cas. Le moment charnière de l'histoire de cette liste correspond à sa publication dans un supplément d’une cinquantaine de pages du journal anglais "The Guardian".
De la performance artistique au projet d'infrastructure sociale
En 2020, Arkadi Zaides nous a invité à participer à un groupe de recherche autour d'une performance intitulée Necropolis. L'objet de cette performance est de considérer l'impact des politiques européennes de migration sur la construction d'un monde inhumain dont l'esthétique virtuelle évoque la mort au détriment de la vie. Arkadi Zaides y interroge les mouvements des personnes qui sont systématiquement et brutalement arrêtées par les politiques frontalières, mettant en évidence la chorégraphie qui se produit dans la sphère sociale. Cette performance soulève d'après nous des questions éthiques relatives aux statuts des technologies utilisées pour aborder la mort des migrant·es en route vers l’Europe.
Contactés en tant que techniciens de la cartographie digitale, il nous est apparu nécessaire et même élémentaire de questionner le statut de ces technologies. Ceci a eu pour effet de bousculer le positionnement de ce groupe de recherche vis à vis des systèmes d’information géographique (SIG) et notre implication dans la formulation du projet de recherche.
La question fondamentale qui se pose d'emblée est la manière de réduire la nécrologie des disparitions de ces vies humaines en lignes dans un tableau. D’autres questions se posent aussi concernant la collecte des données, leur accessibilité, ce qui est rendu visible, à qui, et de quelles manières. On voit émerger des parallèles ou des ponts potentiels entre les protocoles et les standards de données et la mise en place de rituels et de cérémonies, qui constitueraient un rapport incarné à ces données, nourri par des pratiques sociales, qui se voudrait respectueux des deuils individuels et collectifs.
Dialogues avec d'autres projets
Ce projet de recherche s'est construit en dialogue avec une série de personnes impliquées de proche en loin sur les questions de migrations ou de cartographies. Son ambition est de construire des traits-d'unions entre leurs actions. Parmi elles, José Pablo Baraybar do Carmo, coordinateur médico-légal au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En effet, le CICR a créé l’initiative «Trace the Face», qui mobilise et aide les personnes dans leur pays d’origine à rechercher leurs parents, qui sont des migrant·e·s dont iels ont perdu la trace. Un comité de suivi du projet sera mis en place dés janvier 2023 pour impliquer des personnes de divers horizons.