Présentation à FOSS4G 2022

Transcription

de·SIG·n

La manière dont nous abordons le design renvoie davantage à une discipline de projet dédiée à la conception d'objets utilitaires que sont les cartes, les plans et les systèmes d'informations géographiques (SIG). Les projets que nous menons sont des lieux d'expérimentations et de pensées collectives qui se nourrissent de moments sociaux multiformes. Ces moments sociaux sont le plus souvent des ateliers qui permettent de définir collectivement les usages des outils que nous créons. À l’origine de chaque projet, nous nous attachons à la manière dont les besoins et compétences des métiers concernés par l’outil sont exprimés. Dans notre approche, nous questionnons la collecte d'informations et l'origine des données, concevons les structures des bases de données, identifions ce qui doit apparaître ou pas sur la carte. Ces ateliers de design de SIG invitent aussi les participant·es à imaginer comment leur outil va déclencher ou accompagner les transformations qu'iels voudraient voir apparaître dans le paysage. Dans chacun des projets, nous dédions systématiquement un temps pour réfléchir aux esthétiques et identités cartographiques qui reflètent des choix culturels en faveur d’une approche graphique ou d’une autre et orientent le discours politique de la carte ou de l’outil. Cette dimension esthétique fait l'objet d'un soin particulier pour assurer l'usage, la lisibilité et la prise en main de la base de données et des outils finaux.

Vers des communautés de savoirs et d'actions

En amont de la création de cartes, la collecte d'informations est un moment privilégié pour imaginer la forme sociale et technologique que va prendre le SIG. Le design du SIG questionne alors le rapport entre ceux et celles qui écrivent les questions, qui mettent en place le cahier des charges de la collecte de données, et les opérateur·ices de la collecte sur le terrain. Dans l’histoire d’Atelier cartographique, cette question de la collecte de l’information et de sa structuration est apparue très tôt. D'abord, autour de la mise en commun, dans le projet Metrolab BrabantSZenne où il s’agissait pour les acteurs·rices de l’eau des trois régions (Bruxelles-Capitale, Wallonie, Flandre) de construire une carte et une base de données commune. Ensuite, dans le projet de la carte du potentiel agricole avec Terre en Vue , où le fait de devoir tout quantifier a été remis en question. Cette question de la collecte de données s’épaissit à présent dans divers projets et pratiques. Dans chacun d’eux, la manière de l'adresser doit permettre d’assurer le passage des SIG à la consolidation de communautés de savoirs et d’actions. Chaque projet devient ainsi un lieu d’expérimentation qui se nourrit de moments sociaux dont l'objectif est de rassembler les usagèr·es de l’outil, de le concevoir avec elleux pour qu’iels puissent par exemple s'occuper de la maintenance des données. C’est un enjeu très présent dans nos pratiques et que nous questionnons par différents bouts.

Tenir le bout de la ficelle

Cette vidéo montre des membres d’Atelier cartographique sur un toit à Bruxelles. Le point de départ était l'idée que les données géographiques ne peuvent pas être interprétées sans connaître les contraintes ou les conditions qui régissent leur collecte et leur représentations. C'est en suivant cette idée que nous avons expérimenté la manière dont le développement d’un outil numérique peut s’accorder à des moments d'interactions collectives. Nous nous sommes dit : “tiens si on devait créer des données géographiques nous-même sans dépendre de ce qui existe déjà, comment on ferait?”. On s'est inspiré du texte de Catherine d'Ignazio, où elle met en avant un dispositif déployé par le Public Lab , constitué d'un ballon gonflé à l'hélium, une petite caméra, une ficelle et une bouteille d’eau de 3l, découpée pour plus de stabilité.

a group of activists working on visualising pollution in Gowanus canal, Brooklyn

Dans les images, on peut voir la ficelle qui relie l'appareil photo aux personnes qui tiennent l'autre bout. La ficelle nous renvoie vers le travail de Laura Kurgan (2019) qui met en avant que les données sont toujours collectées dans un contexte précis et contraintes par les personnes, les institutions, ou parfois les machines qui les collectent. La présence continue de cette ficelle dans l’image rappelle que ce qui ressemble a une orthophoto prise par un satellite très haute résolution, c’est un appareil photo accroché à une grande bouteille d'eau et un ballon gonflé à l'hélium, tenu en l’air par des personnes, qui sont situées, ancrées dans un espace, dans des corps, dans un contexte, dont on ne voudrait pas qu’il soit oublié.

a smartwater robot at marais wiels

Interagir pour collecter des données

De ce fil vers le haut on passe à un autre fil dans l’eau. Et là ce n’est plus un fil raccroché à un corps mais à un prototype de robot. Dans le cadre du projet expérimental Smartwater , autour des qualités de l'eau à Bruxelles, ces ateliers de design de SIG ont fait l'objet d'un living lab dédié. Par ailleurs, des robots ont été placés au milieu de pièces d’eau. La présence de ces robots nous questionne sur les données qu’ils collectent: « nous qui sommes les humains qui vivons dans le quartier, quelles sont les données qu’on a envie de collecter, qu’est-ce qu’on veut savoir et aussi quand on parle de qualité de l’eau, est-ce qu’il n’y a qu’une ou des qualités? ». C’est un projet où la multiplicité d’acteurs qu’il y a autour de la table montre qu’il n’y pas qu’une réponse. On a alors commencé à mettre en place un protocole de collecte de données dans lequel la multiplicité des points de vues sur une question qui semble simple est remise au centre. Ça commence par la définition d’un formulaire : un groupe de personnes décident ensemble quelles sont leurs intentions sur le territoire : « Qu’est-ce qu’on veut savoir? Et pour quoi? » Ensuite, la mise en forme du questionnaire amène de la structure, et on se rend compte que structurer une discussion qui part dans tous les sens, permet dans le même temps de structurer la table attributaire des données en train d'être constituées, ce qui à terme, peut nous permettre de faire une légende de carte. Finalement, cela aboutit à des campagnes d’observations et de collectes de données où les personnes qui vont collecter les données ont été impliquées dans la création du formulaire et donc connaissent les enjeux, de ce qu’elles sont en train de collecter et les raisons, les intentions de chacun·e des participant·es. Dans l’idée ça continue par un partage et une analyse de ce qui a été collecté et ça nous amène éventuellement à revenir sur les questions posées parce qu’on se rend compte en allant sur le terrain que certaines questions étaient en décalage avec les observations de terrain ou devraient être formulées différemment. C’est aussi autour de ce projet que s’est construit le dispositif expérimental radio-robot . Radio robot reprend les informations récoltées par les robots aquatiques bruxellois, et nous les transmet avec des sons et des voix. Les associations se sont emparées de cette radio-robot qui s’est retrouvée dans les toilettes du Brass à Forest et au Musée des Égouts pour la Museum Night Fever. Les ateliers sont aussi des lieux où d’autres idées émergent qui perpétuent quelque chose d’autre autour de l’objet-robot que la dynamique sociale envisagée à l’origine.

Interagir pour représenter un territoire habité

Pour la carte de Brugelette , le projet était de faire une carte pour la commune qui serait distribuée aux habitant·es. Les ateliers organisés avec Champs-Libres et Speculoos réunissaient les habitant·es de la commune engagés dans la collecte des données géoréférencées. La particularité c'était de partir de la base de données d’Open Street Map (OSM) et d'encoder les données manquantes. Cette carte habitante allait être utilisée pour la mobilité piétonne et donc il fallait que certains éléments soient particulièrement lisibles. Ainsi, la carte représente de manière assez emblématique l’existence des trottoirs le long des routes, une information particulièrement utile à celles et ceux qui se déplacent avec une poussette, par exemple. On est proche du système d’informations parce que toutes les données sur la carte viennent d’OSM ou on été ajoutées sur OSM. L'intérêts du groupe de personnes rassemblées à cette occasion s’exprime dans la réalisation finale. Dans ce projet, les ateliers d’apprentissage d’encodage dans OSM et la technologie mise en œuvre permet au groupe d’actualiser les données et de ré-imprimer la carte dans le même style et de manière autonome.

Interagir pour l'analyse de contenus

Le projet Topological Atlas donne aussi lieu à des ateliers d’accompagnement pour concevoir avec les chercheur·ses un outil d'analyse des entretiens qu’ils ont mené sur le terrain et qui ont aussi été prétexte à des reportages photographiques. Le groupe de recherche de Topological Atlas travaille sur les parcours de migration depuis le Pakistan jusqu'aux frontières de l'Europe et cherche à réaliser un outil pour pouvoir faire de l’analyse textuelle et visuelle. L’intention est de montrer les relations à partir de l’analyse de bouts de textes, de bouts d’images ou d’extraits sonores liées aux expériences du passage des frontières, à la production de ces frontières. Cette dimensiosn topologique devient le sujet de cartes qui représenteraient autre chose que la dimension topographique sans pour autant en être totalement déconnectée.

Interactions multilingues

Le projet de création d'infrastructure Hyphenated Database ─ qui découle de rencontres autour de la performance Necropolis d'Arkadi Zaides – est aussi un lieu où se discutent les possibilités de mettre en relations des bases de données qui ont vu le jour dans des contextes spécifiques. En partenariat avec l’université de Gand, l’objectif de ce projet de recherche est de créer l’infrastructure d’un mémorial numérique apte à favoriser des rituels de deuil pour de la nécrologie de migrants décédés aux frontières de l'Europe. La base de données rassemblerait et documenterait les données collectées par trois associations. La recherche porte sur la manière dont ces bases de données peuvent être interrogées par les proches. L’enjeu c’est de pouvoir impliquer les personnes qui sont concernées par la consultation de cette base de données. C’est pourquoi la recherche est menée au travers de recontres multilingues qui rassemblent des migrants en tant que chercheur·ses de terrain. Ces rencontres multilingues doivent encore trouver leurs formes. Nous devons trouver les moyens d’y adresser de manières nuancées des questions d’ordre psychologiques et émotionnelles mais aussi la manière de rémunérer les personnes en situations de précarité citoyenne. Les rencontres multilingues sont destinées à permettre de comprendre comment les personnes concernées auront envie de questionner la base de données. La forme que prendra l’infrastructure fait donc partie intégrante de la recherche. Elle sera le résultat final au bout du processus de quatre ans. L’enjeu est pour nous de concevoir le processus social qui va accompagner la mise en place de cet outil et de s’affranchir de la question du résultat final.

AC members exeprimenting a baloon-mapping

La dimension relationnelle du design de SIG

Dans chaque projet, Atelier cartographique essaye de mettre l’accent sur la dimension relationnelle du design technique et social. Ce sont des relations que nous cultivons et que nous cherchons à poursuivre, à mettre en liens à travers différents projets. Si nous restons présents pour accompagner ce processus social, ce n’est pas pour créer de la dépendance, mais plutôt dans l’idée de créer des cercles vertueux de communautés de savoirs et d’actions. Tous ces moments de discussion permettent de former les interlocuteurs et interlocutrices : ils se forment aux questions, à l’usage de l’outil, aux enjeux conceptuels et territoriaux.

En conclusion, si on revient à cette ficelle qui nous raccroche à la création de la donnée géographique, on en revient au manifeste de Catherine d’Ignazio sur la visualisation des données. Un des points qu'elle soulève, c'est le fait de rendre possible le désaccord et de tourner les désaccords et les frictions en pistes à explorer. Et puis des aspects qui concernent plus des questions de représentation : comment est-ce qu’on représente l’incertitude ? Comment représente-t-on des données qui doivent rester invisibles pour diverses raisons ? Comment on peut représenter l’économie matérielle derrière les données? Comment se rappeler que les données viennent dans des contextes spécifiques avec des contraintes de temps, des contraintes économiques, des contraintes matérielles mais aussi des composantes humaines des personnes en capacité de créer des données géographiques ou de représenter ces données? L’ensemble des projets que nous menons tentent d’une manière ou d’une autre de répondre en partie à ces questions.